(11) Un miracle de Grâce : Cinquième partie

Après avoir écouté Pierre Sorin tard dans la nuit, mes parents et moi étions emplis de joie, prêts à trouver le sommeil dans ce car transformé en couchettes, un refuge pour ceux et celles qui n'avaient pas opté pour une chambre d'hôtel ou la ferme des Garatti. Écouter Pierre Sorin, c’était une expérience hors du commun ; il semblait tout connaître, tout percevoir. Était-il parfaitement exact dans ses propos ? Je ne pouvais en être certaine car beaucoup trop jeune pour discerner. Mais ce dont je me souviens, c’était qu’il possédait un don précieux, celui de faire passer le message de Notre-Dame des Roses avec une telle sincérité qu’on ne pouvait douter de sa vérité. 

Dimanche matin 4h30, il fait un froid glacial dehors, si froid que, à l’intérieur du bus, les fenêtres se couvrent de givre, comme si le gel venait doucement s’y poser. C’est l’heure de se lever pour le premier rosaire du matin. Je ne me souviens pas si mes parents sont allés à ce premier rosaire. Ce dont je me rappelle, c’est que pour moi, il n’était pas question de me lever dans ce froid mordant. Je voulais rester blottie dans mon duvet, mon cocon de chaleur, ce duvet que ma maman, une couturière passionnée et douée avait renforcé avec une doublure très épaisse pour qu’il soit plus chaud en hiver. Ce sac de couchage est tellement solide qu'il est toujours fonctionnel. Non seulement il m'a accompagnée lors de mes nombreux voyages dans ma jeunesse, mais il a aussi été utilisé par mes enfants et aujourd'hui encore il me sert pour certains besoins. 

Je me suis rendormie, jusqu’à ce que les gens reviennent du rosaire. Même si plusieurs années ont passé, et que ma mémoire est très capricieuse, je me souviens encore de beaucoup de détails de cette journée, que je vais appeler ma seconde naissance.  C’était un dimanche, il faisait très froid et le ciel était tout gris, presque prêt à neiger. Mes parents, ainsi que les autres pèlerins, étaient très surpris par la météo, ils ne s’y attendaient pas du tout. Le deuxième rosaire allait bientôt commencer. Nous étions sous le porche de chez Garatti, en train de finir de ramasser les affaires du petit déjeuner.  

Dans le regard de ma mère, je voyais sa joie d’être là, cette lumière dans ses yeux qui me faisait presque oublier tout le reste. Cela faisait si longtemps que je ne l’avais pas vue aussi heureuse et pleine d’énergie. Je me suis dit, pourvu que cela dure, c’était tellement bon de la voir ainsi. J’essayais aussi de calmer mon sale caractère, car je ne voulais surtout pas gâcher cette atmosphère de bonheur qui régnait dans ce tout premier pèlerinage à l’étranger. Même si, parfois, j’avais envie de dire à quel point j’étais fatiguée d’entendre le chapelet prié en latin et les prières en italien, il y avait très peu de prières en français, si je me souviens bien, il y avait quand même un cantique final chanté en français. 

C’était l’heure de partir pour le Petit jardin des roses, et je me rappelle qu’il faisait tellement froid que maman a eu une idée brillante : me mettre des chaussettes aux mains pour ne pas avoir trop froid. J’y allais vraiment à reculons, car je me disais dans ma tête que, comme c’était dimanche, les prières allaient forcément durer plus longtemps.

Je marchais paisiblement sur le chemin, sans me presser, en me disant tout au fond de moi : « Courage, c’est le dernier rosaire qu’il te reste à faire cet après-midi, puis tu pourras rentrer chez toi. » Arrivée au Petit jardin, je me souviens avoir eu cette pensée : « Et si tout cela n’était  que mensonge et illusion ? Si mes parents, surtout ma mère, avaient été manipulés, dépensant une fortune pour rien. Et si Marie n’était jamais apparue ici, en ce lieu ? » 

Ces pensées tourbillonnaient sans cesse dans ma tête, et je n’arrivais plus à me persuader du contraire. Tout ce que j’avais entendu depuis mon arrivée, samedi matin — les apparitions, la bénédiction des petits mouchoirs bénis par la Très Sainte Vierge elle-même, l’eau miraculeuse, et les bidons que les gens remplissent pour en ramener chez eux en France et distribuer à ceux qui en ont besoin, pensant qu'elle va les guérir, tout cela semblait soudain vaciller. Un sentiment de déception m’envahit peu à peu, comme si mon regard s’assombrissait, et tous mes espoirs, toutes mes prières, faites avec tant d’effort, semblaient vains. Je ne peux même pas trouver les mots pour décrire ce que je ressentais au fond de moi à cet instant. Je n’étais pas bien du tout. La paix et la sérénité qui m’habitaient depuis mon arrivée, cette joie de découvrir et d’apprendre tant de choses, avaient totalement disparu, laissant place à une adolescente complètement anéantie et perturbée comme par le passé. Oui, le doute, la tristesse, et même la peur, avaient de nouveau pris place en moi.

Alors, une idée merveilleuse m’est venue en tête : dans l’histoire de l’apparition de Notre-Dame des Roses, il y a Saint Padre Pio qui intervient. Ce franciscain d’Italie, marqué par les stigmates, me fascinait depuis ma tendre enfance. J’avais découvert son histoire, ou plutôt sa vie, grâce à une personne qui vivait dans ma commune ; elle était sa fille spirituelle, ce qui montre à quel point elle le connaissait intimement, Padre Pio de Pietrelcina. À aucun moment de ma vie, je n’ai douté de lui. Il était pour moi un trés grand mystique, qui m'attirait. Je me souviens avoir lu des histoires, parcouru des articles à son sujet ; je connaissais déjà beaucoup de choses sur lui à mon âge, comme si sa vie faisait partie intégrante de la mienne. C’est pour cela que je devais lui demander si ce lieu était vrai, si Marie était réellement apparue ici, à San Damiano. Alors, je me suis dirigée très rapidement vers la statue de Padre Pio, qui à cette époque se trouvait à droite du Petit jardin des roses.

Padre Pio était représenté comme s'il bénissait une personne ou quelque chose avec douceur. On pouvait même poser la main dans celle qu’il bénissait, et c’est ce que j’ai fait. Je lui ai tenu la main en lui disant tout simplement : « Moi, je crois en toi, et je sais que tu es vrai. Alors, s'il te plaît, peux-tu me dire si Marie est apparue ici, en ce lieu ? Si c’est le cas, je te demande juste de me faire un petit signe, cela me suffira. Merci, Padre Pio. »

Voilà la prière que j’ai récitée, mot pour mot. Puis je suis partie marcher, comme je le faisais d’habitude, pour que le temps passe un peu plus doucement.








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