Le sourire de Marie aux petites fossettes : Première Partie

Après avoir dit ma petite prière, je repris mes habitudes au Petit Jardin des roses. Comme souvent, je marchais à travers les allées de vignes qui entourent le lieu des apparitions, histoire de faire passer le temps tout en écoutent les prières. Ce jour-là, il y avait beaucoup de monde, bien plus que d’habitude, car nous étions dimanche et de nombreux Italiens étaient venus en car, probablement juste pour la journée. Le froid, déjà mordant, s’était alourdi d’une fine pluie. Rien de violent, mais assez pour sortir les parapluies et k-ways du sac. Entre un fond glacial et l’humidité, nous avions bien du mal à nous réchauffer.

Je n’étais pas la seule à tourner dans les allées, marchant tout en récitant le chapelet, cela aidait à se réchauffer un peu tout en tenant l’âme éveillée. Mes parents, je m’en souviens, avaient réussi à trouver une place tout près de la grille du Jardin des Roses : Papa se tenait debout, tandis que Maman, à genoux, s’appuyait sur la grille, toute recueillie.

Je ne saurais dire l’heure exacte, ni à quel point nous en étions du rosaire. Après plusieurs tours déjà, arrivée près de l’entrée du Jardin, une pensée m’a traversée : puisque c’est le dernier rosaire auquel nous allons participer, pourquoi ne pas essayer d’avancer un peu, et me rapprocher de la statue, pour la voir de face ? Mais je savais bien que ce ne serait pas facile, tant la foule était dense.

À cette époque-là, on ne pouvait pas faire le tour complet du Jardin comme aujourd’hui. Une séparation l’en empêchait : une partie appartenait aux intégristes, et je vous assure qu’il était hors de question de se mélanger à eux en ce temps-là. Heureusement, cette division a fini par tomber, et désormais nous pouvons tous nous rassembler pour prier notre Mère du Ciel, d’un seul cœur, unis sous son regard maternel.

Je m’approchais du Petit Jardin et, à quelques mètres seulement de mes parents, je fus surprise : devant moi, la statue m’apparaissait de face… et j’avais l’étrange impression qu’elle bougeait. Je ne pouvais m'en détacher les yeux. Je me suis dit intérieurement : non, ça suffit, il est vraiment temps de repartir d’ici… tu dois être fatiguée, tu te fais des illusions, tu débloques. Je me rappelais aussi ce que l’on dit souvent : à force de fixer un objet, on finit par croire qu’il bouge, mais ce n’est qu’une illusion d'optique. Alors, presque en riant de moi-même, je fis demi-tour pour reprendre le chemin de la sortie.

Mais après quelques pas, une force étrange me poussa à revenir en arrière. Comme si une petite voix en moi me disait : retourne, regarde encore. J’obéis et là, de nouveau, je vis la même chose : la statue, que je savais d’ordinaire tournée vers la maison de Mamma Rosa, me paraissait de face, me regardant.

Je restai un moment à la regarder sans bouger, puis une pensée me traversa : c’est sans doute parce que nous sommes dimanche et qu’il y a foule. Ils ont peut-être installé un système de rails pour faire tourner la statue afin que chacun puisse voir Notre-Dame des Roses durant le rosaire. Cette idée me rassura alors je me dis : il faut que j’avance, que je m’approche encore, et que je voie cela de plus près.

Je continuais d’avancer vers la statue, en direction de mes parents. Arrivée à la hauteur de Maman, agenouillée, le chapelet entre les mains, je posai doucement ma main sur son épaule et la secouai légèrement sans perdre de vue ce que je voyais, en murmurant avec insistance : “Regarde, Maman ! La statue nous regarde !”

Elle leva la tête, puis me répondit d’un ton sec : “Tu es folle !” Mais moi, au fond de mon cœur, je savais ce que j'étais en train de vivre en ce moment précis. Il fallait absolument que quelqu’un d’autre puisse voir comme moi, que je ne sois pas seule. Alors j’ai regardé autour de moi, et c’est là que je l’ai aperçue : une dame, agenouillée en prière, face à la maison de Mamma Rosa, dissimulée sous son parapluie.

Je ne saurais l’expliquer, mais une certitude s’imposa à moi : cette femme verrait, elle aussi, ce que je voyais. Il fallait que je la rejoigne, coûte que coûte, même si cela signifiait la tirer un instant de sa prière. Je me frayai donc un passage dans la foule, le cœur battant, portée par une force qui n’était pas de moi. Arrivée tout près d’elle, je fis comme avec Maman : je posai doucement ma main sur son épaule et lui murmurai, presque tremblante. “Madame… voyez-vous ce que je vois ?”

Car je dois le dire : en contournant le Petit Jardin, la statue avait de nouveau bougé. Elle me suivait des yeux, pas à pas. Je dis bien la statue, car jusqu’à cet instant, même dans son mouvement, elle gardait encore quelque chose de figé, de silencieux. Lorsque la dame et moi nous sommes retrouvées ensemble, face à Elle… quelque chose a changé, ce n’était plus une statue, c'était une présence. Une personne vivante que je voyais, me regardant, me souriant.

Alors, je n’ai plus su me contenir. Ce n’était plus la discrétion ni la douceur de tout à l’heure. Une ardeur m’a saisie, brûlante et joyeuse, et sans me soucier du monde autour, j’ai crié en secouant l’épaule de la dame : “Regardez, Madame ! Elle nous regarde !”

Oui… Celle que l’on appelle la Mère de Dieu, Celle à qui nous adressons nos prières en levant les yeux vers le ciel, était là, devant nous, bien réelle, et Elle nous regardait. Du haut de mes 16 ans, j’étais en train de vivre une expérience que je croyais réservée aux saints. Une grâce si grande que je n’aurais jamais osé la rêver.

Je voyais Marie, en vrai. Si belle, si douce… Une présence de paix et de lumière. Elle posait sur nous un regard d’une tendresse infinie, un regard qui semblait tout comprendre, tout pardonner, tout aimer. Et ce sourire… mon Dieu, ce sourire ! Aucun mot ne peut le décrire. Il portait la douceur du Ciel et la chaleur d’une Mère. J’y reviendrai plus tard, car il m’habite encore — comme une flamme tranquille qui ne s’éteindra jamais. Au moment où je la fixais, de peur de perdre une seule miette de cette grâce, j’entendis soudain la dame s’écrier : “Oh mon Dieu !”

Je me souviens très bien d’avoir alors laissé échapper un long soupir de soulagement et d’émotion, et de m'être dit au fond de moi : “Ça va… je ne suis plus seule à voir.”



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